
La rédaction de Gabon Media Time (GMT) serait-elle peuplée de fantômes ? C’est, à en croire les dernières péripéties kafkaïennes, la théorie d’un haut dignitaire du régime, visiblement très affecté par des articles écrits par… personne. L’affaire, aussi absurde qu’inquiétante, offre un spectacle dont seuls les régimes les plus subtils ont le secret.
Tout commence lorsqu’un membre du gouvernement, dont l’identité est un secret de Polichinelle, se sent soudainement piqué au vif. Son outil de prédilection pour soigner son ego blessé ? La Haute Autorité de la communication (HAC), transformée pour l’occasion en tribunal des âmes sensibles.
Le chef d’accusation est un modèle de précision juridique : GMT aurait publié des articles « anonymes censés salir l’image » du plaignant. « C’est curieux, s’étonne Morel Mondjo Mouega, le rédacteur en chef de GMT, nous sommes un média parfaitement identifié. » Précisons même que depuis que ce ministre a quitté le gouvernement, GMT n’a plus écrit une ligne sur lui. Mais pourquoi laisser les faits entraver une bonne petite intimidation ?
La convocation de la HAC, un chef-d’œuvre de flou artistique, ne cite aucun article précis. C’est dire la clairvoyance de l’institution : elle sait qu’il y a offense, même sans preuve. Elle convoque donc GMT pour… deviner sur quel texte porterait la plainte. Un jeu de société passionnant, version administrative : « Trouvez l’article qui a fâché le ministre ! »
Face à cette situation, le parti Ensemble pour le Gabon (EPG) a sorti sa plus belle plume pour s’indigner. Dans un communiqué, il ose rappeler, candide, que « la liberté de la presse est un pilier de la démocratie » et que « le Code de la communication interdit la censure ». Quel idéaliste ! On lui souffle à l’oreille que dans les hautes sphères, la démocratie est un concept décoratif, comme un vase qu’on sort pour les visiteurs importants.
Le paradoxe est pourtant savoureux : le même gouvernement qui brandit son (relatif) bon classement RSF comme un trophée s’évertue à museler la presse à coups de plaintes fantômes. C’est un peu comme se vanter d’être un grand cuisinier tout en servant des plats surgelés.
Ainsi, le « quatrième pouvoir » gabonais est sommé de se taire, non pas pour ce qu’il a dit, mais pour ce qu’on imagine qu’il aurait pu penser. La bataille est donc engagée : d’un côté, un média qui demande simplement à connaître les charges retenues contre lui ; de l’autre, un ministre qui, visiblement, possède un détecteur de calomnies bien plus performant que le commun des mortels.
En attendant, la liberté de la presse au Gabon, comme un personnage de Kafka, erre dans les couloirs de la HAC, cherchant désespérément à comprendre le crime qu’elle est accusée d’avoir commis.