Au Mali, le régime à l’oreille absolue

Un universitaire croupit en prison depuis 21 mois pour une menace qu’il n’a pas proférée. Les experts de l’ONU s’énervent, le gouvernement malien s’en tape.
C’est une histoire tellement ubuesque qu’elle en devient banale sous la junte du colonel Assimi Goïta. Clément Mamadou Dembélé, universitaire et empêcheur de tourner en rond corruptif, a eu l’audace suprême : on lui a attribué une voix. Sur un enregistrement qui traînait sur les réseaux sociaux, une voix (qui n’était pas la sienne, une expertise le confirme) aurait menacé le président de la Transition.
Logique implacable du régime : si on vous attribue une voix, vous êtes coupable. Point. M. Dembélé savoure donc l’hospitalité malienne depuis novembre 2023, soit 21 mois, le temps de faire pousser plusieurs générations de cacahuètes dans une cellule.
Face à ce déni de justice aussi grossier qu’un char d’assaut sur un parking à vélos, les experts des Nations unies ont sorti leur plus belle plume rouge. Dans un communiqué cinglant, ils exigent la libération de l’universitaire, rappelant au passage que la justice malienne elle-même – oui, cela existe encore – avait estimé en avril que l’accusation tenait à peu près aussi bien qu’un parapluie en papier mâché sous la mousson.
Mais à Bamako, on a visiblement d’autres priorités. Interrogé, le sociologue péruvien Eduardo Gonzalez, expert indépendant, semble découvrir les joies du dialogue de sourds : « On a envoyé un courrier recommandé, rien. On a même mis un smiley triste, toujours rien. Pendant ce temps, M. Dembélé apprend la menuiserie sans bois. »
Pire, l’affaire prend des allures de jeu de quilles liberticide. « C’est l’effet cascade ! », s’exclame M. Gonzalez, visiblement en train de perdre son latin. « Vous défendez un prisonnier ? Hop, vous devenez le prisonnier d’à côté. Regardez l’ex-Premier ministre Moussa Mara, embastillé pour avoir eu le mauvais goût d’exprimer sa solidarité. C’est dire si le régime supporte mal la critique ! »
De toute évidence, la junte au pouvoir suit un manuel d’auto-gestion très particulier : Comment étouffer toute opposition en 10 leçons, avec un bonus sur l’art d’ignorer les courriers internationaux. Une méthode Coué judiciaire où la présomption d’innocence est remplacée par la présomption de gêne.
En attendant, Clément Mamadou Dembélé reste le pensionnaire forcé d’une prison malienne, coupable d’un crime que même la science refuse de lui attribuer. Preuve que dans le Mali nouvelle version, il vaut mieux avoir une voix qui porte… mais surtout, qu’elle ne s’égare pas sur Internet.