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Cap Estérias, entre mangrove et béton : la lutte fragile des pêcheurs de crabes

Au nord de Libreville, l’écosystème vital des mangroves disparaît sous la pression immobilière, menaçant l’économie locale et la biodiversité. Reportage dans un village où la résistance s’organise, entre reboisement citoyen et inertie étatique.

À une vingtaine de kilomètres de Libreville, le village de Cap Estérias semble figé entre tradition et précarité. Ici, les habitants vivent de la pêche artisanale, notamment aux crabes, une ressource autrefois abondante. Aujourd’hui, Yan Penda Madola et son frère parcourent des kilomètres pour relever leurs pièges, souvent vides. « Avant, derrière la maison, tu pouvais attraper des crabes. Aujourd’hui, tout est déblayé », témoigne-t-il, amer. La faute à une urbanisation galopante qui détruit les palétuviers, arbres centraux de la mangrove, écosystème essentiel à la reproduction des crustacés.

Une économie locale en péril

Le constat est sans appel : les prises de crabes, qui pouvaient atteindre 15 kg par jour, ne dépassent plus aujourd’hui 5 kg pour une valeur dérisoire de 10 000 francs CFA (15 euros). « Mon oncle a construit sa maison et scolarisé ses enfants grâce aux crabes. Maintenant, comment allons-nous nourrir nos familles ? » s’interroge Yan . Cette baisse drastique des ressources fragilise une économie déjà précaire, où la pêche était un pilier social et financier.

©Afriknouvelles

 

Mangroves : un rempart écologique sacrifié

Les mangroves ne sont pas qu’un refuge pour les crustacés. Elles jouent un rôle crucial dans la protection contre les inondations et le stockage du carbone. Pourtant, Libreville a perdu 70 hectares de mangroves en 3 ans, soit 3,55 % de sa surface totale. L’urbanisation incontrôlée et la corruption sont pointées du doigt : « Des titres de propriété sont même attribués sur des mangroves », dénonce Franck Ndjimbi, expert en gouvernance forestière

Les conséquences sont déjà visibles : inondations meurtrières et glissements de terrain ont frappé la capitale en 2019 et 2022.

Reboisement citoyen : l’espoir vient des ONG

Face à l’inaction relative des autorités, des associations comme Plurméa ou les amis de la Lowé se mobilisent. Landry Lignambou, président de Plurméa, explique : « Nous reboisons pour limiter l’urbanisation anarchique et permettre aux espèces de se reproduire ». Armés de propagules (graines de palétuviers), ces bénévoles replantent inlassablement . Guilann Ibinga, directeur des Amis de la Lowé, regrette toutefois le manque de soutien étatique : « Des pays moins nantis que le Gabon aident leur société civile. Ici, les politiques ne s’intéressent qu’aux éléphants » .

Des lois inappliquées et une répression sélective

Le gouvernement gabonais a pourtant renforcé sa réglementation. Un arrêté oblige désormais les promoteurs à réaliser des études d’impact environnemental avant toute construction. Jean Hervé Mve Beh, directeur des écosystèmes aquatiques, promet des sanctions : « Les auteurs de destruction seront traduits en justice ». Mais sur le terrain, l’application reste laxiste. La corruption gangrène le système : 35 % des usagers des services publics ont payé un pot-de-vin ces  12 derniers mois.

Cap Estérias, symbole d’un équilibre fragile

Le village incarne les tensions entre développement économique et préservation écologique. Si les ONG et les pêcheurs se battent pour sauver la mangrove, les spéculateurs fonciers continuent leur œuvre de destruction, souvent en toute impunité. La mangrove de Cap Estérias devient ainsi le théâtre d’une lutte inégale, où la résistance locale tente de contrer les intérêts économiques à court terme.

La survie de Cap Estérias dépend désormais de la capacité des autorités à appliquer leurs propres lois et à soutenir les initiatives citoyennes. Sans une action coordonnée et transparente, la mangrove – et avec elle toute l’économie côtière – pourrait disparaître, emportant dans son sillage un pan entier de la culture gabonaise.

 

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