
Le Gabon a dégainé son arme miracle pour assainir ses finances : la digitalisation. Avec un budget colossal de 7 233,3 milliards FCFA (environ 13 milliards USD) prévu pour 2026, le gouvernement mise tout sur une transformation numérique de choc pour colmater les fuites et booster ses recettes. Une ambition affichée, sous l’impulsion du président Brice Clotaire Oligui Nguema, qui sent autant l’urgence que le désespoir face à une économie étouffée par l’informel et les pratiques opaques.
Le triple coup de force du ministre Doumba
Mark Alexandre Doumba, ministre de l’Économie numérique, mène la charge. Sa stratégie, dévoilée sans fard, repose sur trois piliers aussi ambitieux que nécessaires :
Traquer l’économie fantôme. Le véritable nerf de la guerre ? S’attaquer de front à l’économie informelle, ce monstre qui engloutit entre 40 et 50% du PIB. Le constat est sans appel : taxer les mêmes contribuables connus est un jeu de dupes qui mène droit dans le mur. L’objectif est impitoyable : ramener à la lumière cette manne financière invisible pour enfin élargir l’assiette fiscale.
Tuer le cash, tuer la fraude. Le gouvernement part en guerre contre le liquide, ce complice historique de l’évasion fiscale. Avec une immense partie des transactions réglées en espèces, l’État se fait voler sa TVA et ses taxes sur les produits. La promotion agressive du mobile money et des paiements électroniques n’est pas une option, mais une condition de survie pour capturer ces recettes indirectes qui filent entre les mailles du filet.
Boucher les trous noirs de l’administration. Le dernier axe est peut-être le plus sensible : sécuriser les paiements au sein même des services publics. Car l’argent cash qui entre dans les guichets ne rejoint pas toujours les caisses de l’État. La digitalisation est présentée comme le scalpel qui doit amputer les circuits de détournement, rétablir une transparence élémentaire et, surtout, recréer un lien de confiance pourri avec les citoyens.
Le secteur privé dans le collimateur… et comme allié
M. Doumba n’y va pas par quatre chemins : le secteur privé, bien que producteur de l’essentiel du PIB, traîne un lourd passif de faible productivité. Le message est clair : sa digitalisation n’est pas une suggestion, mais un impératif. L’idée sous-jacente ? Les grandes entreprises doivent montrer l’exemple, car leur mutation aura un effet de tsunami positif sur toute l’économie. Un mélange d’injonction et de partenariat forcé.
Les premiers résultats : un succès qui en dit long
Les effets de cette cure de digitalisation sont déjà visibles, et ils sont éloquents. Le lancement de la plateforme « Digitax Gabon » en avril 2024 a été un électrochoc. Les chiffres de la Direction générale des impôts (DGI) parlent d’eux-mêmes : 80% des recettes fiscales transitent désormais par ce canal.
Mais le plus spectaculaire est ailleurs : la DGI a pulvérisé ses objectifs pour 2024, les dépassant de 18% pour la trésorerie et affichant un taux de réalisation de 107% pour le budget. Une performance qui, si elle est confirmée, prouve une chose simple : l’argent était bien là. Il ne manquait pas, il était juste mal collecté, voire détourné.
L’envers du décor : un pari semé d’embûches
Derrière l’enthousiasme officiel, le ministre lui-même admet que la route sera semée d’embûches. Cette digitalisation impose un changement de culture brutal, et elle se heurtera inévitablement à la résistance des bénéficiaires de l’ancien système, autant chez les citoyens que chez certains décideurs.
La question technique est tout aussi cruciale : avec seulement 71,9% de la population ayant accès à Internet (UIT, 2023), le risque de créer une fracture numérique et d’exclure une partie des contribuables est bien réel. Le Gabon parie gros. Très gros. Sur 13 milliards de dollars.
La digitalisation n’est plus une simple modernisation ; c’est une opération de sauvetage financier à haut risque. Si elle réussit, elle pourrait être la cure de jouvence dont le pays a besoin. Si elle échoue, elle ne sera qu’un coûteux gadget de plus. Le compte à rebours est lancé.