
Les élections législatives et municipales tant attendues, censées marquer le retour du Gabon
à l’ordre constitutionnel après le coup d’État d’août 2023, ont été émaillées de désordres et d’allégations de fraudes qui rappellent douloureusement les pratiques de l’ancien régime. Malgré les promesses de renouveau démocratique portées par la transition, la journée de samedi a vu resurgir un « logiciel » électoral que beaucoup pensaient avoir été écarté.
Une journée sous le signe des irrégularités

Sur le terrain, les observateurs et les représentants de partis d’opposition ont rapporté un ensemble troublant d’irrégularités, créant un sentiment de déjà-vu pour de nombreux Gabonais.
Mainmise sur les bureaux de vote : Selon les observateurs, la composition des bureaux de vote a été une source majeure de tension. Dans la quasi-totalité des bureaux, les scrutateurs étaient essentiellement, voire exclusivement, des membres du parti présidentiel, l’Union Démocratique des Bâtisseurs, laissant peu de place à un contrôle pluraliste du scrutin .
La « transhumance » électorale : Une pratique décriée de longue date semble avoir fait son retour. Des bus entiers d’électeurs, surnommés « électeurs-mercenaires », ont été signalés se déversant dans des circonscriptions où ils n’avaient aucune attache familiale ou économique, afin d’influencer le résultat local.
Des listes électorales fantômes : Les listes continuaient de regorger d’électeurs inscrits mais décédés, dont les cartes auraient été utilisées dans des bureaux échappant à tout contrôle sérieux.
Absence de bulletins et gestion opaque des procurations : Dans plusieurs centres de vote, les bulletins de certains candidats, étaient tout simplement introuvables. La gestion spéciale et peu transparente des procurations a également alimenté les suspicions de fraude.
Le coup de gueule de Raymond Ndong Sima

Figure centrale de cette transition, l’ancien Premier ministre de la transition et maintenant président de l’Alliance Patriotique, Raymond Ndong Sima, est monté au créneau. Sur ses réseaux sociaux, il a partagé la liste de ses candidats, mais son message va au-delà d’une simple campagne . Il dénonce une situation où « on n’a pas changé de logiciel » et fustige une « victoire construite sur du mensonge », qui, selon lui, « ne présage rien de bon » et « préfigure même des lendemains inquiétants ». Ce constat sévère, venant d’un ancien pilier de la transition, jette une ombre lourde sur la crédibilité du processus.
Retour à la case départ ? Un contexte transitionnel en question
Ces désordres interviennent dans un contexte où le gouvernement de transition, mené par le Général Brice Oligui Nguema, promettait de tourner la page des pratiques du passé. Le putsch d’août 2023 était justifié par la nécessité de mettre fin à 56 ans de règne de la famille Bongo, marqués par une « gouvernance irresponsable » et des élections entachées de fraudes massives .
La transition s’était engagée sur la voie d’une réforme avec l’adoption d’une nouvelle constitution en 2024, suivie d’une élection présidentielle en avril 2025 qui avait vu la victoire du Général Nguema . Cependant, des analystes avaient déjà émis des réserves, arguant que les modifications constitutionnelles, comme l’abolition du poste de Premier ministre et l’autorisation pour les militaires de se présenter, pouvaient consolider le pouvoir de l’exécutif plutôt que d’assurer une transition démocratique réelle . Les événements de ce samedi semblent, pour beaucoup, confirmer ces craintes.
Alors que les bureaux de vote ont fermé, la question qui brûle toutes les lèvres est de savoir si ces élections, censées clore la transition, vont véritablement ramener le Gabon dans l’ordre constitutionnel, ou si elles marquent simplement la perpétuation d’un système sous une nouvelle étiquette. La crédibilité du retour à la normale promise par les autorités transitionnelles se jouera dans la capacité de ces dernières à apporter des réponses transparentes et convaincantes aux graves irrégularités constatées lors de ce scrutin.