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Gabon : La suppression des ordonnances impayées, une mesure radicale qui divise

Le ministre de l’Économie, Henri-Claude Oyima, a annoncé cette semaine  la suppression totale des ordonnances de paiement antérieures à 2023 en instance au Trésor public. Présentée comme une étape essentielle pour « assainir les finances publiques »et « restaurer la crédibilité de la signature de l’État » cette décision soulève autant d’espoirs que de vives inquiétudes parmi les opérateurs économiques. Alors que le gouvernement justifie cette purge par la nécessité d’éliminer les dettes frauduleuses, les entrepreneurs s’interrogent sur le sort des créances légitimes et appellent à une solution concertée.
Henri-Claude Oyima, Ministre de l’Économie © DR
La décision du ministre Oyima s’inscrit dans un vaste chantier de réformes engagé depuis plusieurs mois pour redresser les finances publiques gabonaises. Les autorités entendent ainsi répondre aux alertes des institutions internationales, comme l’agence de notation Fitch Ratings, qui a récemment pointé un déficit public jugé « irréaliste » et une dette projetée à 106 % du PIB . Cette purge comptable vise explicitement les engagements douteux identifiés par les audits successifs.
Comme le souligne Louis Paul Modoss, analyste économique, « il ne s’agit pas de toutes les dettes, il s’agit de celles dites frauduleuses »Il rappelle que « la dette intérieure du Gabon en février 2025 est estimée à plus 2 196 milliards de FCFA », soit près d’un tiers de la dette publique globale, elle-même évaluée à 7 179 milliards de FCFA à fin mars 2025 . Les audits ont en effet révélé des irrégularités massives : entre 2023 et 2024, 93 % des marchés publics ont été passés de gré à gré, alors que le seuil légal est fixé à 15 % . « Dans la pratique d’attribution directe des marchés, les règles sont entachées d’irrégularités. À l’analyse, certains hauts fonctionnaires sont derrière ces entreprises. Ce qui fait d’eux juges et parties »,
déplore Louis Paul Modoss.
Un marché public a Libreville ©Afriknouvelle
Si la lutte contre la fraude est perçue comme nécessaire, la méthode du gouvernement inquiète les acteurs économiques sains. Jim Ndong Methogo, entrepreneur dans le BTP, n’est pas directement concerné, mais il alerte : « L’État aura toujours besoin de partenaires et de fournisseurs. S’il y a des travaux qui ont été exécutés conformément aux cahiers de charge, l’État devrait payer cette créance pour renforcer sa crédibilité ». Son appel rejoint les craintes exprimées par de nombreuses PME. Une étude de la Chambre de commerce citée dans les rapports récents indique qu’en 2024, 40 % des PME gabonaises connaissaient des tensions de trésorerie à cause des retards de paiement de l’État . L’annulation pure et simple des ordonnances, sans distinction entre les créances frauduleuses et celles liées à des prestations réellement effectuées, risque d’aggraver une situation déjà critique. « Il faut trouver un terrain d’entente dans ce dossier. En réalité, l’État peut aussi être poursuivi par ceux qui ont livré des prestations en bonne et due forme », prévient Jim Ndong.
Le gouvernement a accordé un délai ultime aux entreprises : jusqu’au 17 octobre 2025 pour déposer leurs justificatifs auprès d’une Task Force . Cette fenêtre constitue une opportunité cruciale pour les opérateurs économiques de faire valoir leurs droits. Pour Henri-Claude Oyima, il s’agit de « garantir une exécution budgétaire plus saine » et d’envoyer un message de rigueur aux partenaires financiers internationaux, dont 
le FMI .
Cependant, cette course contre la montre ne suffit pas à apaiser toutes les craintes. Si la mesure est saluée par certains comme un prérequis à une discipline budgétaire retrouvée, elle fait aussi peser un risque systémique sur l’économie. La COBAC, institution de surveillance bancaire de la CEMAC, a alerté sur la hausse des créances impayées dans la région, qui représentent près d’un tiers des crédits accordés, soit environ 2 200 milliards de FCFA .
Les banques, ayant souvent préfinancé des marchés publics, pourraient resserrer les conditions de crédit, affectant ainsi la trésorerie des entreprises et, in fine, la croissance.
La suppression des ordonnances impayées antérieures à 2023 est une décision audacieuse, à la croisée de deux impératifs : assainir les finances publiques pour retrouver la confiance des bailleurs et préserver un tissu économique déjà fragilisé.
Si la lutte contre les détournements et les surfacturations est légitime – comme en attestent les audits –, la méthode unilatérale d’annulation suscite des tensions palpables.
Comme le résume Jim Ndong, « il faut trouver un terrain d’entente ». La crédibilité future de l’État gabonais ne se mesurera pas seulement à sa capacité à réduire sa dette, mais aussi à son aptitude à honorer ses engagements envers les entreprises qui ont rempli leurs obligations. La Task Force devra donc faire preuve de rigueur et de discernement pour distinguer la fraude des créances légitimes, sous peine de voir le remède aggraver le mal. La prochaine échéance, le 17 octobre, sera un premier test décisif.

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