
Le campus de l’Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM), habituellement vibrant de ses milliers d’étudiants, est devenu le théâtre d’une grève silencieuse et déterminée. Les salles de cours sont vides, les amphithéâtres muets. Seules résonnent les voix des étudiants en colère, qui campent sur les pelouses pour dénoncer des conditions de vie « intenables ». Cette mobilisation, pacifique mais ferme, n’est que la partie émergée d’un iceberg de mécontentement qui s’étend bien au-delà des frontières du Gabon.
Depuis plusieurs jours, la vie académique est paralysée à l’USTM. Dans un mémorandum adressé aux autorités, les grévistes dressent un tableau alarmant de leur quotidien : des dortoirs insalubres, des pannes d’électricité prolongées plongeant les cités universitaires dans le noir, et un accès à l’eau potable qui relève du parcours du combattant. Les infrastructures pédagogiques, délabrées, complètent ce sombre portrait.
« Comment voulez-vous réussir dans de telles conditions ? Nos droits les plus fondamentaux sont bafoués. Nous ne demandons pas le luxe, mais simplement la dignité », s’indigne un étudiant en sit-in, sous le soleil accablant de Franceville.
Leurs revendications sont claires et urgentes : la réhabilitation immédiate des résidences, le rétablissement stable de l’eau et de l’électricité, et le paiement des bourses d’études, souvent versées avec des mois de retard. Pour l’instant, l’administration universitaire et le ministère de l’Enseignement supérieur observent un silence assourdissant, une absence de dialogue qui attise davantage la colère.
Un abandon systémique : La détresse des étudiants gabonais à l’étranger
Si la crise à l’USTM est criante, elle reflète une réalité plus sombre encore pour des centaines d’étudiants gabonais boursiers à l’étranger. De Rabat à Dakar en passant par Istanbul, les témoignages recueillis racontent une même histoire : celle d’un abandon pur et simple par les autorités gabonaises.
Au Maroc et au Sénégal, des étudiants, autrefois considérés comme l’élite de la nation, sont livrés à eux-mêmes. Les allocations, qui couvrent le loyer, la nourriture et les frais de scolarité, ne sont plus versées depuis plus de deux ans pour certains. Conséquence directe et humiliante : nombre d’entre eux sont littéralement chassés de leurs logements pour loyers impayés.
« Nous survivons grâce à la solidarité entre compatriotes et à de petits jobs. Mais comment se concentrer sur ses études quand on ne sait pas où l’on va dormir le lendemain ? L’État nous a oubliés », confie, la voix tremblante, une étudiante en médecine à Dakar.
En Turquie, la situation n’est pas moins critique. Les étudiants décrivent un sentiment d’isolement profond et de détresse psychologique. Privés de ressources, certains se retrouvent en situation de rupture sociale, contraints de mendier pour survivre ou de dépendre entièrement de la charité des communautés locales et des associations étudiantes.
« Le pire, c’est le mépris. Aucune réponse à nos courriers, nos appels restent sans suite. On nous a promis un avenir, on nous offre la précarité la plus totale », déplore un doctorant gabonais à Istanbul.
Une jeunesse sacrifiée, un avenir en péril
La crise de l’USTM et le calvaire des étudiants à l’étranger sont les deux facettes d’un même problème : la déliquescence du système éducatif gabonais et le peu de considération accordée à sa jeunesse. Les promesses de modernisation et de valorisation du capital humain, si souvent brandies, tardent à se concrétiser, laissant une génération entière dans le doute et l’amertume.
Cette jeunesse, qui devrait incarner l’avenir du pays, se sent sacrifiée. Son message, porté par les grévistes de Franceville et les voix étouffées de la diaspora estudiantine, est un avertissement : sans investissement urgent et concret dans l’éducation, c’est tout le projet de développement national qui est compromis.
Les étudiants de l’USTM l’ont juré : ils ne reprendront pas les cours sans des engagements concrets. Dans les capitales étrangères, leurs camarades luttent pour leur survie quotidienne. Dans ce duel silencieux entre l’espoir d’une jeunesse et l’inertie des institutions, c’est l’avenir même du Gabon qui se joue.
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