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Affaire Harold Leckat : l’urgence d’une moralisation publique sans distinctions

L’interpellation, le 15 octobre 2025, de Harold Leckat, directeur de Gabon Media Time (GMT), sur le tarmac de l’aéroport Léon-Mba de Libreville,  suscite de vives réactions et place la question de l’équité judiciaire au cœur du débat public. Les circonstances de cette arrestation, présentée comme liée à un dossier de « détournement de fonds publics »  dans le cadre d’un contrat de communication avec la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), interrogent sur les critères guidant l’action des autorités en matière de moralisation.
 
Un contrat au cœur des interrogations
 
Le différend porte sur un contrat signé en 2020 entre la CDC et GMT, d’une valeur mensuelle de 10,9 millions de FCFA, renouvelé jusqu’en 2023, pour un montant global avoisinant 460 millions de FCFA. Les enquêteurs soulèvent l’absence d’appel d’offres. Cependant, cette situation interroge dans un contexte où, selon des chiffres du ministère de l’Économie cités par l’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze, près de 97% des marchés publics échapperaient à la procédure de mise en concurrence.
 
D’un point de vue juridique, Me Bilie-By-Nze rappelle que les faits reprochés, s’ils étaient établis, ne relèveraient pas de la qualification de « détournement de deniers publics », M. Leckat n’étant « ni ordonnateur, ni comptable des fonds publics ». Il estime que ce litige commercial aurait dû être porté devant le tribunal de commerce. Cette position est partagée par l’Organisation Patronale des Médias (OPAM), qui a dénoncé les méthodes d’interpellation et réclamé la libération du journaliste.
 
Le contraste des traitements judiciaires
 
La situation d’Harold Leckat contraste fortement avec le traitement réservé à d’autres dossier financiers de plus grande ampleur, documentés par des rapports officiels. La Task Force sur la dette, en novembre 2023, avait révélé des surfacturations massives dans les marchés publics et une dette publique dépassant les 7 000 milliards de FCFA. Des entreprises telles que SOBEA, SOWAE ou Galaxy Corporation ont été pointées du doigt pour des chantiers fantômes ou des surfacturations atteignant parfois 60%, sans donner lieu, à ce jour, à des interpellations similaires.
 
En juillet 2024, un rapport concernant l’Agence Nationale des Parcs Nationaux (ANPN) indiquait que 85 milliards de FCFA avaient été dépensés sans réalisation d’infrastructures significatives, 90% des fonds ayant été absorbés par le fonctionnement de l’agence elle-même. Là encore, aucune suite judiciaire publique d’une nature comparable à l’affaire Leckat n’a été observée.
 
L’impératif d’une action étendue et impartiale
 
Ce contraste alimente le débat sur l’étendue et l’impartialité de la moralisation de la vie publique. L’opinion suit avec attention le devenir des audits annoncés, dont les conclusions peinent parfois à être rendues publiques. L’exemple de l’audit concernant Delta Synergie, dont le verdict n’a toujours pas été publié, est régulièrement cité par les observateurs comme un test de la transparence promise.
 
La crédibilité de la lutte contre la corruption et la gabegie semble ainsi suspendue à la capacité des autorités à appliquer les mêmes standards à tous, sans distinction de taille des dossiers, de secteur d’activité ou de proximité présumée avec le pouvoir. L’émotion soulevée par l’affaire Leckat est moins une remise en cause du principe de reddition des comptes que l’expression d’une attente : celle d’une justice égale pour tous et d’une moralisation qui ne fasse pas de sélection.
 
Pour une partie de la société, le sérieux des institutions actuelles  passe par la démonstration tangible que les règles sont appliquées de manière cohérente et systématique, y compris dans les dossiers les plus complexes et quelle que soit l’entité concernée. L’enjeu dépasse le cas individuel ; il s’agit de construire une confiance durable dans les institutions en prouvant que l’ombre n’offre plus de refuge.

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