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Réforme de la TFH : Un pari fiscal de 17,95 milliards, entre équité et défis de mise en œuvre

Face aux députés réunis le 12 décembre 2025, le ministre d’État gabonais Henri-Claude Oyima a défendu une réforme majeure : la Taxe Forfaitaire d’Habitation (TFH). Présentée comme un outil de justice sociale et de développement local, cette taxe vise à générer 17,95 milliards de FCFA de recettes additionnelles annuelles.
 
Toutefois, derrière les ambitions affichées de simplicité et d’équité, le projet soulève des interrogations pratiques et stratégiques sur son recouvrement, son acceptation sociale et sa place dans un paysage fiscal en pleine mutation.
 
Le cœur de la réforme : une cartographie au service de l’équité ?
L’objectif central du gouvernement est de créer un système « clair, équitable et adapté » aux réalités territoriales. Pour y parvenir, le projet s’appuie sur une nouvelle cartographie fiscale classant chaque commune ou secteur urbain en zones. 
 
Cette approche vise à ce que la contribution de chaque citoyen reflète le niveau d’équipements et de services publics dont il bénéficie localement, selon Henri-Claude Oyima. Un forfait unique, dont le montant varie selon la zone, sera appliqué à tous les occupants.
 
Un impact financier en plusieurs volets
 
Le ministre a détaillé les effets budgétaires attendus de cette réforme, qui va au-delà du simple ajout d’une nouvelle taxe. La mesure s’inscrit dans un rééquilibrage plus large des finances publiques.
 
Recettes attendues 
 
La TFH doit générer environ 17,95 milliards de FCFA de recettes nouvelles. Une autre source évoque même une prévision de mobilisation de 22,6 milliards de FCFA pour l’exercice 2026. Ces fonds seront intégralement versés au Fonds d’Initiative Départementale (FID) pour financer des projets de proximité (voirie, habitat, services publics locaux).
 
Compensation et ajustements 
 
Cette création s’accompagne d’ajustements significatifs ailleurs: une baisse de 226,6 milliards de FCFA due à la réduction du taux de contribution pour l’amélioration du cadre de vie (passant de 10% à 7%); une hausse nette de 179,9 milliards de FCFA via la revalorisation de la taxe d’habitation existante et 
une réduction des dépenses de souveraineté de 130 à 30 milliards de FCFA.
 
Les zones d’ombre et les questions en suspens
 
Si les députés ont salué la clarté du dispositif, l’audition a surtout fait émerger une série d’interrogations cruciales sur sa mise en œuvre concrète :
 
Qui paie ? La question du débiteur (propriétaire ou locataire) a été soulevée par le député Alexandre Awassi.
 
Quand payer ? L’honorable Justine Judith Lekogo a interrogé sur la périodicité (annuelle, semestrielle, mensuelle), cruciale pour la trésorerie des ménages.
 
Sur quelle base légale ? La 3e Vice-présidente de la Chambre, Marie Paulette Parfaite Amouyeme Ollame-Divassa, a demandé à connaître le fondement juridique permettant à la SEEG (Société d’Énergie et d’Eau du Gabon) de prélever cet impôt.
 
Comment communiquer ? Plusieurs élus ont plaidé pour une campagne d’information massive auprès des populations pour garantir la compréhension et l’acceptation du dispositif.
 
Le ministre Oyima s’est contenté de rassurer l’assemblée, affirmant que « toutes ces préoccupations seront intégrées dans les textes d’application », avec pour priorité un recouvrement « simple, transparent et compris de tous ».
 
L’exemption sociale : une mesure d’apaisement à l’épreuve du temps
 
Face aux craintes d’aggravation de la précarité, le gouvernement a annoncé une mesure d’exemption ciblée. Les 59 868 foyers détenteurs de compteurs sociaux (sur un total de 434 992 compteurs d’électricité) seront exemptés du paiement de la TFH. Ces compteurs, attribués aux ménages les plus modestes pour faciliter l’accès à l’électricité, servent ainsi de critère automatique d’exonération.
 
Cette décision, qui concerne prioritairement les habitants des quartiers populaires de plusieurs grandes villes, vise à protéger les plus vulnérables dans un contexte économique difficile. Cependant, comme le notent certains observateurs, elle pose une question fondamentale pour l’avenir : comment l’État financera-t-il cette exemption à long terme sans fragiliser l’équilibre budgétaire escompté de la réforme ?
 
La SEEG, un percepteur insolite au cœur des critiques
 
Le choix du mécanisme de recouvrement est l’un des aspects les plus controversés du projet. Pour des raisons de facilité, le gouvernement a décidé d’intégrer le prélèvement de la TFH à la facture mensuelle d’électricité, confiant à la SEEG le rôle d’opérateur principal.
 
Cette décision soulève immédiatement plusieurs problèmes : quel mandat donne  à une société d’énergie le droit de collecter un impôt sur l’habitation ?
 
Cette méthode repose sur une base de données (les abonnés à l’électricité) qui ne recoupe pas parfaitement l’assiette fiscale visée (les occupants de logements).
 
Des citoyens, comme le montre un commentaire public, s’indignent déjà du principe même de cette délégation : « Un opérateur comme la SEEG à qui l’État doit de l’argent devient le caissier mandaté par celui-ci pour collecter la fameuse taxe d’habitation. Le peuple subit… ».
 
Le gouvernement devra donc prouver que ce mécanisme hybride est non seulement légal mais aussi techniquement fiable et socialement acceptable.
 
La réforme gabonaise ne surgit pas dans un vide politique ou économique. Elle s’inscrit dans une tendance régionale où les États, sous la pression des institutions financières et des besoins de développement, cherchent à élargir leur assiette fiscale.
 
Au Cameroun voisin, la Banque Africaine de Développement (BAD) encourage le gouvernement à accroître sa pression fiscale pour atteindre 15% du PIB d’ici 2028. Pour y parvenir, la BAD préconise notamment la segmentation de la population fiscale et le renforcement de la digitalisation de l’administration, des pistes similaires à celles explorées par le Gabon. La Banque Mondiale, dans un récent rapport sur le Cameroun, a également souligné la nécessité de réformes budgétaires audacieuses pour libérer le potentiel de croissance, pointant du doigt un système caractérisé par une assiette fiscale étroite et un recouvrement inadéquat.
 
Cette convergence des recommandations internationales montre que le Gabon navigue dans un courant commun aux pays de la région, tiraillés entre la nécessité de financer les services publics et le risque d’asphyxier les contribuables, qu’ils soient ménages ou entreprises.
 
Les défis à venir pour la TFH
 
La réforme de la Taxe Forfaitaire d’Habitation est donc bien plus qu’un simple ajustement technique. C’est un pari politique et économique dont la réussite dépendra de la capacité du gouvernement à répondre à plusieurs défis critiques dont celle de lever les ambiguïtés sur le paiement, le débiteur et le rôle de la SEEG. Puis convaincre une population déjà sous pression économique que cette taxe est juste et que ses contreparties en matière d’équipements locaux seront visibles.
 
Si le ministre Oyima a réussi à présenter une philosophie générale séduisante devant les députés, la phase la plus délicate commence maintenant : celle de la traduction concrète. Les prochains mois, jusqu’à l’entrée en vigueur prévue en 2026, seront déterminants pour savoir si cette réforme deviendra un outil de développement local équitable ou une nouvelle source de frustrations fiscales pour les Gabonais.
 

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