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Gabon.Ndjolé-Bifoun : la route de tous les dangers, ou le cauchemar pavé de bonnes intentions ?

Entre nids-de-poule et paysages lunaires, le tronçon stratégique du Moyen-Ogooué défie le temps, l’espace et la patience des usagers.

Ndjolé, Gabon – Il est des routes qui relient, qui unissent, qui font battre le cœur économique d’une nation. Puis il y a le tronçon Ndjolé-Bifoun. Ici, sur ces 56 kilomètres stratégiques dans le Moyen-Ogooué, c’est une tout autre histoire qui se déroule, écrite à coups de nids-de-poule, de ravins et d’abandons. Un chantier pharaonique laissé en jachère, une artère vitale obstruée, transformée en un parcours du combattant qui met à l’épreuve les ressorts des véhicules et la résistance nerveuse des conducteurs.
 
Les images, plus éloquentes qu’un long discours, montrent une chaussée déchirée, par endroits avalée par une nature revancharde. Un paysage apocalyptique qui, avec le retour des grandes pluies, se mue en un gigantesque bourbier, piège à camions et calvaire pour les populations.
« Ici, on ne compte plus en kilomètres, mais en heures. Et en pièces de rechange », lance, philosophe, Marcel, un routier chevronné qui arpente ce « chemin de croix » depuis dix ans. Son camion, couvert de boue séchée, tangue dangereusement. « Pour faire les 56 km, une voiture met au moins deux heures. Nous, les poids lourds, on vise le double. Parfois plus, quand la pluie a décidé de noyer le peu de piste qui reste. C’est une course d’orientation. Il faut deviner où est la route sous les flaques. »
 
Le récit de Marcel est un condensé de l’absurdité quotidienne. « L’autre jour, un collègue a trouvé une famille en train de pique-niquer dans un cratère assez grand pour accueillir une table et quatre chaises. Quand la route vous offre un salon en plein air, faut en profiter », ironise-t-il, un sourire fatigué aux lèvres.
 
 
L’arrivée des grandes pluies, traditionnellement période de renouveau, est ici attendue avec une terreur mêlée de résignation. « C’est la saison des baptêmes », plaisante amèrement Jeannette, commerçante à Bifoun. « Baptême de boue pour les voitures, baptême de feu pour les nerfs des conducteurs. Les produits pourrissent dans les camions coincés, les prix qui flambent… Ici, l’inflation, elle arrive par cette route. Ou plutôt, elle n’arrive pas, c’est le problème. »
 
Dans les villages, la « route » est un personnage à part entière, à la fois maudit et familier. « On a appris à vivre avec », confie un ancien du village, assis sur un tronc d’arbre. « Les enfants savent reconnaître le bruit d’un moteur en détresse. C’est comme ça. On dit que ce tronçon est stratégique pour l’économie du pays. Peut-être. En tout cas, pour l’économie locale, il est surtout stratégique pour les dépanneurs et les vendeurs de bouillie de maïs et d’eau aux voyageurs échoués. »
 
 
Alors que les autorités ne cessent de vanter le développement des infrastructures et la relance économique, le calvaire de Ndjolé-Bifoun interroge. Comment un axe aussi crucial, censé désenclaver des régions productrices et faciliter le commerce, peut-il être laissé dans un état de délabrement aussi avancé ? Le chantier, abandonné, se dresse comme un monument à l’inachevé, une promesse non tenue qui rouille sous le soleil et pourrit sous les averses.
 
 
La situation de cette route est le reflet d’un paradoxe gabonais : une ambition affichée de modernité entravée par les réalités criantes du terrain. En attendant des jours meilleurs et un hypothétique repavage, les usagers de Ndjolé-Bifoun continuent leur ballet chaotique, développant une philosophie de la survie au volant, où l’humour noir devient la seule arme contre l’absurdité et l’oubli.
 
crédit photos:  J. Meyo 

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