Trente ans après le jour où le recteur Daniel Ona Ondo a été publiquement dévêtu sur le campus de l’Université Omar-Bongo, l’un des protagonistes clés brise enfin le silence. Alain-Claude Bilie-By-Nze, alors président du Syndicat des étudiants gabonais (SEG), livre un récit haletant dans son podcast Tout se Dire et nie toute participation aux violences. Une version qui remet en cause la narration officielle de l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du Gabon.


Le 14 juin 1994 reste une date traumatique. Ce jour-là, le recteur Daniel Ona Ondo est agressé et déshabillé par des étudiants en colère. Depuis, cet acte a poursuivi Bilie-By-Nze, devenu plus tard porte-parole de la présidence sous Ali Bongo, et aujourd’hui figure de l’opposition.
Dans un témoignage précis et martelé, il affirme : « Je n’ai jamais été ce jour-là à moins de 10 mètres du recteur. Je n’ai jamais porté main sur lui. Jamais ! » Il étend cette innocence à ses proches collaborateurs de l’époque, Alain Nzigou et Aimé Mapangou.
Une journée piégée ?
Le contexte est explosif. Six mois après une présidentielle contestée, le pouvoir organise un référendum sur la reprise des cours. Les étudiants réclament une hausse des bourses. La veille, le journal L’Union publie des articles présentant Bilie-By-Nze et ses camarades comme des « radicaux », préparant l’opinion à un drame.
Le matin du 14 juin, aucun vote n’a lieu. Bilie-By-Nze annonce même la fin de la grève dans une interview. Puis tout dérape. Alerté d’une activité suspecte au rectorat, il monte sur un escabeau pour calmer la foule avec un mégaphone. Ça marche. Il redescend.
C’est à ce moment qu’un employé du rectorat, M. Engone, sort. Bilie-By-Nze et Sidonie Itsiembou (aujourd’hui Sidinie-Flore Ouwé) l’emmènent plus bas pour s’entretenir avec lui. L’éloignement sera fatal à sa version des faits.
Le témoignage-choc : « Des inconnus en brassards rouges »
Pendant qu’Engone lui révèle que le recteur est à l’intérieur, le drame éclate. De retour vers le rectorat, Bilie-By-Nze est empêché d’approcher par des étudiants qui l’enserrent : « Non, n’y va pas. » Il assiste, impuissant et à distance, à la scène.
Plus tard, des témoins lui racontent que des étudiants ont forcé les grilles. Leurs priorités ? Sauver le journaliste Eugène Ella Mba, présent dans le bureau avec le recteur.
Le détail le plus troublant qu’il révèle : « Il y avait sur le campus des groupes de jeunes que nous ne connaissions pas. Certains portaient des brassards rouges, d’autres utilisaient leur t-shirt comme cagoule. » Une présence étrangère et organisée. Interrogé, son bras droit Alain Nzigou répond : « Type, je ne les connais pas. »
Pendant ce temps, les gendarmes postés aux abords n’interviennent jamais.
La sélectivité des sanctions et la fuite
Le lendemain, le ministre annonce l’exclusion définitive de quatre étudiants : Bilie-By-Nze, Nzigou, Mapangou et Ngwa Mbina. Puis une liste de 39 noms circule. Mais rapidement, la machine politique s’emballe.
« Finalement, de trente-neuf plus quatre, nous nous sommes retrouvés à trois exclus : Alain Nzigou, Aimé Mapangou et moi. Tous les autres, leurs noms avaient disparu. », raconte Bilie-By-Nze. Aimé Mapangou dénoncera en 2014 : « Si j’étais de Bitam, je n’aurais pas été exclu. » Une punition ciblant ceux sans relais familiaux haut placés.
Abandonné par la base étudiante sous la pression des familles, Bilie-By-Nze entre en clandestinité, changeant de planque tous les deux ou trois jours pendant un an, protégé par un réseau discret.
Le silence assourdissant du recteur
Trente ans après, le principal protagoniste de l’affaire, l’ancien recteur Daniel Ona Ondo, n’a jamais livré publiquement sa version. Un silence éloquent que notre confrère, GabonReview, interrogeait déjà en 2014.
Bilie-By-Nze lance un défi : « Ceux qui ont vécu à l’intérieur même du rectorat n’en ont jamais parlé ? Ceux qui ont vu ceux qui ont porté main, pourquoi n’ont-ils jamais parlé ? »
Son témoignage, minutieux et appuyé par de nombreux acteurs encore vivants cités nommément, jette une lumière crue sur cet événement. Il y décrit moins une émeute étudiante spontanée qu’un scénario troublant, où des acteurs inconnus, des forces de l’État passives et une justice sélective semblent avoir orchestré la chute de leaders étudiants devenus gênants.
L’affaire du recteur déshabillé n’est peut-être pas close. La balle est désormais dans le camp de ceux qui, comme Daniel Ona Ondo, ont gardé le silence pendant trois décennies.



