
C’était, un verdict était très attendu et salué (principalement par ceux qui n’ont pas eu à payer le voyage), l’Unesco a inscrit le Mvet Oyeng, art musical et tradition orale des peuples Ekang, sur sa liste prestigieuse. Cet acte, posé en Inde, couronne plus de deux décennies de combat mené par des gardiens de cette culture, dont le conteur Tsira Etoughe Ndong, qui a dû découvrir en chemin que son art était bien plus immatériel que le financement de sa mission.
La relève… et la note


Derrière cette reconnaissance internationale se cache une histoire personnelle de résilience, de transmission, et de crowdfunding improvisé. Très jeune, Tsira Etoughe Ndong a dû prendre la relève de son père, grand diseur de Mvet disparu. Pour prendre la relève vers New Delhi, il a dû compter sur la générosité de mécènes privés, l’État gabonais ayant déclaré son incapacité financière à soutenir la sauvegarde de son propre patrimoine. Une leçon pratique en économie culturelle : il est plus aisé d’inscrire une tradition au patrimoine de l’humanité que de trouver un billet d’avion dans le budget du ministère de la Culture. Un paradoxe pour une victoire qui, selon le conteur, « appartient à tout un pays ». Sauf, visiblement, à son trésor public.
Une tradition vivante, plurielle, et… potentiellement au programme scolaire ?
Le Mvet Oyeng est bien plus qu’une simple musique. C’est une pratique globale associant chant, danse, instrument, et une endurance narrative à faire pâlir les séries Netflix (spectacle pouvant durer plus de dix heures). L’Unesco souligne que le terme désigne à la fois les histoires, le conteur, l’instrument et le musicien. Bientôt, peut-être, il désignera aussi un chapitre dans les manuels scolaires gabonais.
Thérèse Etoughe, Mvettophile, y voit en effet un levier formidable : « Le président le disait : il faut qu’on reparte aux sources. Un peuple sans culture est un peuple sans vie. Alors, si on pouvait réussir à les sauvegarder comme ça… » « Comme ça », c’est-à-dire avec une reconnaissance internationale qui frappe à la porte, pendant que l’État cherche ses clés au fond d’un tiroir vide. Son souhait est noble : inscrire le Mvet aux programmes. Reste à savoir si le ministère de la Culture aura, lui, la capacité financière d’imprimer les nouveaux livres.
La consécration philosophique (frais de déplacement non inclus)
Pour le journaliste et anthropologue Louis-Philippe Mbadinga, cette inscription dépasse le cadre culturel : « C’est la consécration d’une civilisation de la parole. C’est la reconnaissance que le peuple africain n’est pas sans histoire. » Une histoire qui, heureusement, a pu se raconter à New Delhi grâce au bon vouloir de quelques âmes charitables, préservant ainsi l’Afrique de l’accusation d’être « sans histoire »… mais pas sans sponsors.
Un spectacle total, un soutien étatique minimal
Une séance de Mvet est une expérience immersive. Le conteur, vêtu d’un costume spectaculaire, captive son public pendant des heures, suscitant participation et dialogue. Les récits, dont le thème est la quête de l’immortalité, viennent de trouver une nouvelle forme d’éternité sur les listes de l’Unesco. Une victoire amèrement douce pour ses gardiens, qui espèrent maintenant que cette immortalité culturelle s’accompagnera d’un soutien un peu plus… matériel, de la part d’une patrie enfin prête à investir dans son propre éclat.
C’est le début d’une nouvelle ère de transmission et de fierté partagée. La facture, elle, a déjà été partagée.



