FlashMondePolitique

Brésil: Condamnation de Bolsonaro vue d’Afrique

L’ancien président brésilien a été condamné à vingt-sept ans de prison pour tentative de coup d’Etat. Jusqu’où la démocratie brésilienne parle-t-elle au reste du monde, notamment l’Afrique ? Ici, l’analyse de notre chroniqueur politique : Michel Ndong Esso.

La condamnation de Jair Bolsonaro a une portée au-delà du Brésil et de l’Amérique. Traqué par la justice pour une tentative de déstabilisation des institutions en 2023, l’ancien président a été frappé de la plus forte des manières : 27 ans et trois mois de prison. Évidemment, l’exemplarité de ce procès a été saluée par les défenseurs de la démocratie à travers le monde. Ils y voient un signal fort vers la consolidation de l’État de droit dans ce pays gangréné par la mal gouvernance. De notre côté de l’Atlantique, le dénouement de ce procès nous parle suffisamment. Et pour cause, les agissements reprochés à Jair Bolsonaro sont coutumiers dans nos États africains : populisme à outrance, violences post-électorales, prise en otage des institutions… Vue sous cet angle, la condamnation de Bolsonaro pourrait livrer de précieux enseignements aux élites politiques de notre continent.
L’analyse de notre chroniqueur politique: Michel Ndong Esso
 
L’impératif de la séparation des pouvoirs
De prime abord, la condamnation de Jair Bolsonaro est un pari gagné pour la justice brésilienne. Dans un pays traversé par des conflits entre politiques et magistrats, le procès de l’ancien président constituait un test grandeur nature pour l’indépendance de la justice et l’affirmation de la séparation des pouvoirs. Pour rappel, les démêlés de Bolsonaro avec les juges ont atteint leur point culminant le 8 janvier 2023. Ce jour-là, des milliers de ses partisans ont envahi et saccagé les bâtiments abritant le Congrès, la Cour suprême et le palais présidentiel en guise de contestation de la victoire de Lula. Mais c’était sans compter sur la ténacité d’Alexandre de Moraes, le juge instructeur à l’origine de la procédure devant la Cour suprême. Malgré son statut d’ancien président et en dépit de l’ancrage du bolsonarisme dans la classe politique brésilienne, Bolsonaro a été reconnu coupable le 11 septembre dernier par le Tribunal suprême fédéral. Vu d’Afrique, cette victoire du droit sur la barbarie est forcément une source d’inspiration.
 
Souvent bâillonnés par les politiques, les juges africains pourront s’inspirer de la ténacité d’Alexandre de Moraes face à Jair Bolsonaro. À l’image de la Cour suprême brésilienne, les juridictions africaines gagneraient à s’affirmer vis-à-vis de l’exécutif. Cela passera par la transparence des procédures et l’équité des procès visant les hauts responsables politiques. Trop souvent, malheureusement, plusieurs crimes commis par ces personnalités sont restés impunis à cause de la docilité et du manque de courage de certains magistrats. On parle même d’une justice aux ordres dans bien de pays, en référence aux pressions exercées sur les juges au point d’empêcher la manifestation de la vérité. Comme leur homologue brésilienne, les Cours de justice africaines doivent donc se défaire de toute forme d’influences externes. Un pari laborieux, certes, mais impératif en même temps.
 
Les dangers du populisme
Au Brésil, Jair Bolsonaro avait misé sur sa popularité et l’ancrage du bolsonarisme au sein de la classe politique pour échapper à la justice. Appelant au soulèvement de ses supporters, il espérait retourner la situation en sa faveur. Il faut dire que cet ancien parachutiste de l’armée brésilienne présente des traits de ressemblance avec de nombreux autocrates africains. Sa rhétorique démagogique et surtout ses méthodes brutales rappellent des figures controversées telles que Jean-Bedel Bokassa, l’empereur autoproclamé de Centrafrique au cours des années soixante-dix, Francisco Macias Nguema, dictateur et premier président de la République de Guinée-équatoriale ou encore le Maréchal Mobutu, le très populiste « roi Zaïre » jusqu’en 1997. Et même à notre époque, la comparaison avec des dirigeants africains tombe sous le sens. 
 
De l’Ivoirien Laurent Gbagbo au Gabonais Ali Bongo Ondimba, en passant par le Congolais Joseph Kabila, ils ont tous quelque chose en commun avec Jair Bolsonaro. Comme lui, ils ont trahi la promesse du renouveau démocratique placée en eux. Au lieu d’œuvrer à la consolidation de l’État de droit, ils ont plutôt contribué à renforcer la fracture sociale par des discours populistes. Obsédés par le pouvoir, ils se sont illustrés par des manœuvres arbitraires qui leur ont finalement coûté le pouvoir voire la liberté, sous le regard impuissant de leurs alliés occidentaux.
 
La solidité des institutions nationales
Et c’est là que se trouve l’autre grand enseignement de la condamnation de Bolsonaro. Fort de ses soutiens à l’international et notamment aux États-Unis, l’ancien président se croyait invulnérable. On le savait, en effet, dans les bonnes grâces de Donald Trump. On savait surtout que la Maison Blanche exerçait de fortes pressions diplomatiques sur Brasilia pour influencer l’issue du procès. Les propos ci-dessous du sénateur américain Marco Rubio, tenus au lendemain du verdict du Tribunal suprême fédéral, sont sans équivoque : « Les États-Unis répondront en conséquence à cette chasse aux sorcières ». 
 
Mais ces intimidations de Washington n’ont pas suffi à faire céder les autorités de Brasilia. Ce qui est une preuve manifeste de la solidité des institutions brésiliennes. Pour nous autres Africains, il y a nécessairement de quoi nous inspirer. À tort ou à raison, nos dirigeants sont souvent considérés comme des marionnettes des pays du Nord. Derrière chaque élection ou chaque réforme de la loi, il y a le soupçon de la main invisible de l’Occident. Pire, des chefs d’État africains sont tombés à la suite d’une ingérence directe des puissances occidentales. Jean-Bedel Bokassa, Laurent Gbagbo et Mouammar Kadhafi en ont fait l’amère expérience. 
 
D’autres encore ont été intronisés sur décision du Quai d’Orsay, souvent en contradiction avec le verdict des urnes. C’est ainsi qu’Ali Bongo Ondimba fut porté au pouvoir à la place d’André Mba Obame en 2009. Mais comment un peuple peut-il prétendre au progrès si les décisions concernant son avenir se prennent ailleurs ? Et si le temps était enfin venu pour les élites politiques africaines d’oser le pari de la souveraineté véritable !

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page