EnvironnementFlashReportage
Gabon : La cohabitation explosive entre l’homme et l’éléphant

Franceville, septembre 2025.Ambroisine Mbonga, 58 ans, perd la vie sous les coups d’un troupeau d’éléphants. Ce drame, survenu à Ouellé-Sucaf, est la manifestation la plus brutale d’un conflit qui s’intensifie chaque jour au Gabon. Dans l’ombre des forêts profondes, une guerre silencieuse use les nerfs des villageois et met à l’épreuve la politique de conservation d’un pays pourtant salué comme un sanctuaire pour la biodiversité.
Le cri de colère des villages oubliés


« La solution pour dégager les pachydermes, c’est de les abattre. » La sentence de Joseph Balondobok, habitant de Mougalaba, est sans appel. Ici, dans la province de la Ngounié, la peur est omniprésente. Sur les chemins, au ruisseau, et surtout dans les plantations, chacun redoute la rencontre avec un géant aux défenses redoutables.


« Qu’est-ce que les hommes du gouvernement protègent ? L’être humain ou la bête ? », s’emporte Mathias Mapiyo, de Mourembou. La frustration est palpable. Les cultures, unique moyen de subsistance pour beaucoup, sont régulièrement dévastées. « Nous subvenons aux besoins de nos enfants à travers l’agriculture. Maintenant que cette agriculture est au bénéfice de l’éléphant. Que va-t-on devenir ? », interroge, désemparée, Viviane Métolo.
Un succès conservationniste à double tranchant
Le Gabon est paradoxalement victime de son propre engagement. Couvert à 88% de forêts, le pays abrite aujourd’hui 95 000 éléphants de forêt (Loxodonta cyclotis), une espèce « en danger critique d’extinction » qui a trouvé ici un refuge crucial. « Grâce à ses politiques strictes de conservation, le Gabon est devenu le pays refuge des éléphants de forêts », confirme le Dr Léa Larissa Moukagni, de l’Agence nationale des parcs nationaux (ANPN).
Mais ce succès a un prix. « Le conflit homme-faune aujourd’hui est permanent, on le retrouve sur toute l’étendue du territoire national », constate William Moukandja, chef d’une brigade spécialisée. Face à une population humaine de deux millions d’habitants, la cohabitation est devenue ingérable. « Les populations pensent qu’il y a plus d’éléphants qu’avant, scientifiquement c’est prouvé », précise le Dr Moukagni.
Pourquoi les éléphants sortent du bois ?
Les géants ne sont plus cantonnés aux forêts profondes. Ils s’aventurent désormais aux abords des villages, voire des villes, y trouvant des « espaces plus ou moins calmes ». Les raisons de cette intrusion sont multiples : le changement climatique affecte la végétation et la nourriture disponible, l’exploitation des terres empiète sur leur habitat naturel, et le braconnage en forêt profonde désorganise les troupeaux, les rendant plus erratiques.
Solutions sur le terrain : entre innovation et découragement
Pour apaiser les tensions, le gouvernement a même créé un ministère dédié à l’Environnement, au Climat et au Conflit Homme-Faune. Sur le terrain, l’ANPN expérimente des clôtures électriques, non létales, destinées à « impacter psychologiquement l’animal » pour le repousser.
En attendant des solutions efficaces et généralisées, les villageois utilisent des méthodes de fortune. Certains, dans un sursaut de survie, veillent tard dans la nuit autour de feux de bois pour tenter de repousser l’avancée des troupeaux. « Une solution pas tout à fait dissuasive », soupire un septuagénaire, las de ces gardes nocturnes épuisantes.
La tragédie d’Ambroisine Mbonga rappelle l’urgence absolue de la situation. Elle souligne la nécessité de renforcer d’urgence les mesures de prévention et les corridors fauniques pour séparer physiquement les mondes humain et animal. Le défi est de taille : protéger une espèce emblématique au bord de l’extinction sans sacrifier la sécurité et les moyens de subsistance des populations rurales. L’équilibre est fragile, et le temps presse.
RépondreTransférer |