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AGOA : L’administration Trump joue-t-elle avec le feu africain?
Alors que l'accord commercial historique a techniquement expiré ce 30 septembre, Washington balance entre la rupture et le sursis. Un coup de poker économique qui laisse un continent entier dans l'expectative.

C’était le 30 septembre 2025. Dans les usines de textile du Lesotho, sur les lignes d’assemblage automobile sud-africaines ou dans les plantations de vanille malgaches, des centaines de milliers d’ouvriers africains ont posé leurs outils sans savoir s’ils retrouveraient leur emploi le lendemain. L’African Growth and Opportunity Act (AGOA), ce pilier des échanges entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne, est arrivé à échéance.
Dans le même temps, la Maison-Blanche a fait savoir, par le biais d’un communiqué rapporté par Reuters, qu’elle serait favorable à une… courte extension d’un an. Un signal contradictoire qui frise l’inconséquence, alors qu’aucune mesure formelle n’a été adoptée et que le Congrès américain était, le même jour, au bord du shutdown.
Les coulisses d’une décision à l’arraché
Selon des informations, cette position de la Maison-Blanche ne serait pas une surprise totale. Quelques jours plus tôt, le ministre des Entreprises du Lesotho, de retour de Washington, faisait déjà état de promesses informelles de membres clés du Congrès concernant une prolongation d’un an, possiblement pour novembre ou décembre.
La stratégie de l’administration Trump semble être de gagner du temps. Le renouvellement d’un an serait une bouffée d’oxygène pour permettre une révision en profondeur du dispositif. Les options sur la table? Intégrer cette extension à une loi de finances temporaire, ou la voter plus tard avec effet rétroactif. Autant de scénarios qui perpétuent un flou juridique insoutenable pour les investisseurs.
L’Afrique, otage d’un bras de fer politique

Les conséquences de cette incertitude sont immédiates et brutales. Sans le régime de franchise de droits de l’AGOA, les exportations africaines vers les États-Unis deviennent soudainement beaucoup moins compétitives. Le tarif douanier pour un jean mauricien, par exemple, pourrait s’envoler à 31,6%, contre 0% auparavant.
Le coût humain est colossal. Les syndicats africains alertent sur le risque pour plus d’un million d’emplois indirects. En Afrique du Sud, la seule filière des agrumes craint pour 35 000 emplois. Derrière les chiffres, ce sont des vies, des familles et la stabilité économique de régions entières qui sont mis en balance.
Le ras-le-bol des leaders africains
Face à cette situation, les voix s’élèvent. Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a rappelé avec force, à la tribune de l’ONU, que l’AGOA est un « levier essentiel pour préserver et créer des emplois ». Un plaidoyer qui semble tomber dans l’oreille d’un sourd à Washington, où les priorités politiques intérieures prennent le pas sur les partenariats stratégiques avec l’Afrique.
Pendant ce temps, une proposition de loi bien plus ambitieuse, déposée en 2024 pour prolonger l’AGOA jusqu’en 2041 et l’arrimer à la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), dort dans les tiroirs du Congrès. La vision à long terme a cédé la place au court-termisme politique.
Et maintenant ? L’Afrique à la croisée des chemins

Cette crise, aussi périlleuse soit-elle, pourrait bien être le catalyseur d’une prise de conscience salutaire. Pour de nombreux experts, la fin programmée de l’AGOA sonne comme un coup de semonce : l’Afrique doit urgemment diversifier ses partenariats et accélérer son autonomie économique.
Les alternatives ne manquent pas : La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) offre un marché de 1,3 milliard de consommateurs. C’est une opportunité historique de développer les échanges intra-africains. La Chine, premier partenaire commercial du continent, a déjà supprimé ses tarifs pour 33 pays africains et représente une alternative crédible, bien que suscitant des débats. L’Union européenne, via les Accords de partenariat économique (APE), reste un partenaire de poids.
Comme le résume un économiste, « il est temps pour l’Afrique de saisir cette occasion historique de sortir de la dépendance ». La balle est peut-être dans le camp des capitales africaines. La dépendance à l’égard des préférences commerciales occidentales a assez duré. L’heure est venue de bâtir une souveraineté économique qui ne dépende plus des aléas politiques de Washington ou d’ailleurs.
L’extension d’un an, si elle se concrétise, ne doit être qu’un respirateur le temps de se sevrer. Pas une nouvelle addiction