
Quatre mois après une opération de démolition controversée, le secteur de Plaine-Orety, derrière l’Assemblée nationale, vit dans l’entre-deux. Tiraillés entre la mémoire des maisons détruites et la promesse d’une modernisation future, les habitants oscillent entre une confiance fragile et un profond sentiment d’abandon.
Un paysage de désolation et un projet ambitieux
Le champ de ruines s’étend à perte de vue. Les cicatrices laissées par les bulldozers en juin dernier sont encore vives, évoquant un paysage de bataille. La destruction de centaines d’habitations et de commerces pour laisser place au futur « Boulevard de la Transition » et à une cité administrative avait alors provoqué une vive polémique. Aujourd’hui, l’herbe commence à repousser sur les terrains libérés, et l’immobilisme apparent interroge. Pourtant, le projet affiché est ambitieux : cette nouvelle artère doit désengorger le centre-ville de Libreville, fluidifier le trafic et améliorer la sécurité des usagers.
La foi dans les autorités et un geste symbolique

Face au doute, certains habitants plaident pour la patience et la confiance. Arthur Beoli Mabadi croit à la bonne foi des autorités et tente de raisonner ses voisins. « On a cassé, il faut faire un terrassement. Il faut que les topographes viennent faire leur travail, explique-t-il. Moi, j’ai rassuré les frères que si le gouvernement a pris l’initiative de casser, c’est qu’il va réaliser quelque chose ici. » Un début de concrétisation est intervenu le 15 août dernier avec la remise par le président Brice Clotaire Oligui Nguema de clés de logements aux populations déguerpies. Pour le ministre de l’Habitat, Ludovic Megne Ndong, ce geste était une « promesse tenue » et une « dignité restaurée », avec plus de 260 logements attribués.
Vivre dans la psychose de l’expulsion imminente


Mais pour ceux qui résistent encore dans le secteur, l’atmosphère est lourde. La psychose d’une nouvelle vague d’expulsions a remplacé la colère. « On vit dans la psychose, confie Thierry Moundzanga. Jusqu’alors on n’a pas de communication. La première zone a été cassée, on attend. Parce qu’on ne sait pas ce que le gouvernement nous réserve. » Ce sentiment d’être laissé dans le flou est partagé par beaucoup, qui observent, impuissants, le retard pris par le projet.
Le doute et les leçons d’urbanisme
Ce retard nourrit les interrogations sur la méthode employée. Jean Marie Moulengui exprime sa perplexité : « Je me pose la question de savoir ce qui se passe réellement parce que là, il y a un grand retard. Alors là, y a l’herbe qui émerge et on se doute maintenant du projet. » Une critique partagée par Bayonne Mavoungou, qui a trouvé refuge chez un membre de sa famille après les démolitions. « On n’arrête pas le progrès, mais Paris ne s’est pas construit en un jour…, souligne-t-elle. On aurait dû au préalable commencer par construire ailleurs, où il y a de l’espace, et après déguerpir. Ça fait plus humain. » Un plaidoyer pour une planification qui place l’humain au cœur des projets d’urbanisme.
Alors que les pelleteuses pourraient bientôt reprendre du service, Plaine-Orety reste un symbole des douloureuses mutations urbaines. Un lieu où la réalisation des grands travaux sera jugée à l’aune de sa capacité à concilier modernisation et respect des populations, sans laisser personne sur le bord de la route.