
Dans les allées surchauffées des supermarchés de Libreville, le constat est amer. Comme chaque semaine, les consommateurs arpentent les rayons, carnets en main, pour traquer la moindre hausse. Farine, huile, sucre, lait… Les produits de première nécessité, majoritairement importés, voient leurs prix s’envoler, plongeant les Gabonais dans un quotidien de plus en plus difficile. Une crise aiguë qui ravive le débat sur une dépendance alimentaire chronique et la sempiternelle promesse, jamais tenue, d’une autonomie par la production locale.
Le Gabon, pays à revenu intermédiaire tiré par le pétrole, n’en est pas à son premier combat contre la vie chère. Malgré les richesses naturelles du pays, l’essentiel de ce qui se trouve dans l’assiette des Gabonais vient de l’étranger. Cette vulnérabilité est pompeusement exposée par la guerre en Ukraine, qui aurait désorganisé les chaînes d’approvisionnement en céréales et en huiles.
« Le blé, comme vous le savez, est importé de l’Ukraine, et il y a aussi les huiles… Les prix sont partis de 16 000 FCFA pour le sac de 50 kg à 20 000, voire 21 000 FCFA aujourd’hui dans certaines boutiques. Cela n’arrange pas les consommateurs », déplore Narcisse Koudou, défenseur des droits des consommateurs. Pour lui, la situation est « inquiétante et préoccupante pour tout le pays ».

Face à ce fléau persistant, les pouvoirs publics ont, par le passé, multiplié les plans et les slogans. On se souvient des annonces tonitruantes de « Gabon vert » ou des promesses de « révolution agricole » portées par des programmes d’investissement publics. Des zones agricoles à perte de vue avaient été promises, des fermes modèles inaugurées. Mais sur le terrain, le bilan est mince. Les projets ont souvent pâti d’un manque de suivi, de la bureaucratie et d’une allocation budgétaire chroniquement faible. Selon les Nations Unies, le pays consacre aujourd’hui encore moins de 1% du budget de l’État au développement agricole.
Dans ce contexte, une lueur d’espoir émerge de la base. Au nord de Libreville, sur un site de 12 hectares, une nouvelle génération d’agriculteurs tente d’inverser la tendance. Ici, des dizaines de jeunes, comme Yves Albert Mvé Obiang, apprennent les rudiments de l’entrepreneuriat agricole. « Aujourd’hui, je me suis rendu compte que notre pays dépend énormément de l’extérieur ; nous sommes plus consommateurs que producteurs. L’agriculture me permet de m’auto suffire », témoigne-t-il avec une conviction qui contraste avec le découragement ambiant.
Cette formation mise sur un « retour à la terre » concret, loin des incantations politiques. L’objectif est de créer une classe d’entrepreneurs capables de nourrir le pays.
La guerre en Ukraine a aussi mis en lumière une autre dépendance critique : celle des engrais, traditionnellement importés de Russie et de Biélorussie. Face à la pénurie et à la flambée des prix, la débrouillardise devient la règle. Sous un hangar, Brice Walter Edo’o, agronome et entrepreneur, forme les apprentis à la fabrication d’engrais biologiques à base de compost.
« Ça devient hyper compliqué pour nous. Nous sommes en train de rentrer dans la phase de la création de la composition du compost parce qu’il faut prôner l’agriculture bio, il faut utiliser nos matières premières », explique-t-il. Pour lui, ce changement de modèle est impératif et passe par « un changement de mentalité » et des formations solides.
Si ces initiatives locales suscitent l’enthousiasme, la route vers l’autosuffisance alimentaire reste longue. Le Gabon a déjà formé des milliers de jeunes via ces programmes, mais le saut vers une production à grande échelle capable de faire baisser les prix dans les étals n’a pas encore été franchi.
Le combat contre la vie chère est une course de fond. Alors que les anciennes politiques peinent à montrer leur efficacité, c’est peut-être dans ces champs, entre les mains de cette jeunesse formée aux méthodes durables, que se joue l’avenir alimentaire du Gabon. Reste à savoir si cette graine, soigneusement plantée, parviendra à pousser dans un terreau économique et politique enfin favorable.



